Mutualisme et vanité

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Quelle curieuse faiblesse que la vanité. Les hommes devraient s’en méfier plus souvent. Il est si facile de se laisser prendre aux chants des courtisans.

Tout comme que le moustique qui, en même temps qu’il pique, injecte l’anesthésique local présent dans sa salive, et rend indolore la pénétration de sa trompe dans les téguments, le flatteur caresse le vaniteux et finit par l’endormir. Il questionne, s’intéresse, s’extasie, félicite, relance, et s’il a du talent, lui fait croire qu’il brille davantage. Les rapports humains se trouvent ainsi mutualisés, chacun trouvant dans l’autre un intérêt particulier. Le rhinocéros tolère sur son dos la présence du pique bœuf, qui le débarrasse de ses parasites, au risque d’élargir les plaies déjà présentes. Il en va de même du requin qui supporte la présence du rémora, collé sur  son ventre.

On aurait tort de penser qu’Ésope et la Fontaine ont épuisé le sujet. Céline, dans cet extrait du « voyage au bout de la nuit », propose un éclairage plus tragique,  et comme souvent, terriblement humain.

Ferdinand Bardamu s’est embarqué sur un cargo en direction des côtes africaines. À bord, il est pris en grippe par les passagers qu’il suspecte de comploter pour le jeter par dessus bord. Dos au mur, il décide d’amadouer les plus actifs de ses détracteurs en flattant leur bravoure.

C’est comme les cochonneries, les histoires de bravoures, elles plaisent toujours à tous les militaires de tous les pays. Ce qu’il faut au fond pour obtenir une espèce de paix avec les hommes, officiers ou non, armistice fragile il est vrai, mais précieux quand même, c’est leur permettre en toute circonstance , de s’étaler, de se vautrer parmi les vantardises niaises. Il n’y a pas de vanité intelligente. C’est un instinct. Il n’y a pas d’homme non plus qui ne soit avant tout vaniteux. Le rôle de paillasson admiratif est à peu près le seul dans lequel on se tolère d’humain à humain avec quelque plaisir.

La mort à deux cents balles

Choqué par son expérience des combats sur le front de la grande guerre, le soldat Ferdinand Bardamu est victime d’un accès de délire hallucinatoire. Il est hospitalisé, et passe de longs mois dans différentes maisons de repos. À sa sorti il rencontre Voireuse, un copain d’avant la guerre. Désargentés, les deux amis cherchent des combines pour se faire rapidement du liquide. Ils rendent d’abord visite à des bijoutiers qui les employaient pour des extras, les Puta. Ces derniers les expédient rapidement en ne leur laissant qu’un maigre pourboire.

 

Voyage au bout de la nuit – Céline – extrait, lu et illustré

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Si je meurs…

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« si je meurs de ma mort à moi, plus tard, je ne veux surtout pas qu’on me brûle ! Je voudrais qu’on me laisse en terre, pourrir au cimetière, tranquillement, là, prêt à revivre peut être…Sait-on jamais. Tandis que si on me brûlait en cendres, Lola, comprenez-vous, ça serait fini, bien fini… Un squelette, malgré tout, ça ressemble encore un peu à un homme… C’est toujours plus prêt à revivre que des cendres… Des cendres c’est fini !… »

Céline – Voyage au bout de la nuit – Folio – p65

Céline a beau porter un regard sans concession sur la tragédie du monde, la peur de mourir le ramène vers ses racines chrétiennes. Petite lâcheté ou espérance folle ?