Le plaisir s’oppose t il au bonheur ?

La notion de plaisir se réfère avant tout à des mécanismes de biologie moléculaire. La dopamine en est le principal neuromédiateur. Sa sécrétion peut être déclenché artificiellement, par l’administration d’une drogue, ou naturellement, par l’activation des circuits de la récompense. Ces derniers sont liés au souvenir d’évènements agréables, stockés dans la mémoire du cortex associatif. Un son, une couleur, une odeur, peuvent déclencher, s’ils renvoient à un souvenir agréable, la sécrétion de dopamine qui provoque instantanément une sensation de bien être. Les publicitaires ont largement utilisé ces techniques pour amadouer le consommateur.

Le bonheur est plutôt une construction que l’on fait à posteriori à partir des souvenirs agréables auxquels on peut donner cohérence , et sens. Il serait donc, ce que je pense, lié à notre capacité à choisir, parmi nos souvenirs les plus agréables, ceux qui donnent un sens à notre vie, et à minimiser, voir gommer ceux qui desservent ce projet. En cela, le bonheur devient une aptitude à organiser sa mémoire en lui donnant une certaine orientation.

Bien que plaisir et bonheur évoluent sur des orbites bien différentes, rien n’empêche de nourrir son bonheur avec le souvenir d’un plaisir qui a contribué à donner du sens à notre existence.

Michel Houellebecq et les intellectuels français

mhVous trouverez ici l’intégralité du texte de la conférence que donna Michel Houellebecq en Argentine, le 12 novembre 2016. La prise de son pour cette vidéo était tellement médiocre, qu’il a fallu se résoudre à tout retranscrire. Travail un peu fastidieux, mais qui en valait la peine. Je n’ai pratiquement apporté aucune correction, pour rester dans le ton du langage parlé. L’homme a un ego un peu sur-dimensionné mais je trouve personnellement ce texte très éclairant sur l’état actuel de la pensée en France. Bonne lecture. Continuer la lecture de Michel Houellebecq et les intellectuels français

Une éducation chrétienne

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Moi – 1972

Héritiers d’une tradition familiale chrétienne catholique, mes parents tenaient à ce que leur fils reçoive une éducation religieuse. Pieuse sans être bigote, ma mère avait l’habitude d’égrener ses prières du soir sur un chapelet qui lui venait de sa grand mère. Mon père, ancien enfant de cœur, racontait toujours les mêmes anecdotes,  mais y prenait tant de plaisir, que je me régalais de le voir retrouver ses yeux d’enfant le temps d’une narration. Je fus ondoyé, puis baptisé, et finalement inscrit au catéchisme pour y suivre un enseignement conforme aux recommandations de Vatican II. Je considérais ces leçons comme une succession de fables ponctuées de rituels sophistiqués, dont la signification m’échappait. Je m’ennuyais du caractère répétitif des thèmes et de la façon de les traiter. Les coloriages, découpages, collages, et tous les messages de paix et d’amour à la guimauve sonnaient creux à mes oreilles. Je pressentais là une tentative de manipulation, et l’imposture qui se cachait derrière. Pendant ce temps, les hommes œuvraient à leurs besognes mortifères. Les Américains faisait rimer Vietnam avec napalm, le Biafra mourrait de faim, certains prêtres me serraient d’un peu trop près et leurs baisers affectueux frôlaient souvent mes lèvres. Enfin,  cerise sur le gâteau des hypocrisies ecclésiastiques, ma mère, en tant qu’épouse d’un homme divorcé, n’avait pas le droit de communier. L’enfant de neuf ans que j’étais avais du mal à se conformer au rôle d’angelot béat d’amour compassionnel qu’on voulait lui faire jouer. Dieu et moi n’habitions pas la même planète.  Les enseignants se plaignaient de mon comportement. Ils me trouvaient indiscipliné, bavard, et surtout insolent. Un jour que je devais être particulièrement dissipé, le prête m’ordonna de me tenir debout au fond de la salle et de rester silencieux comme si j’étais, je le site, « une simple armoire à glace ». Quelques minutes plus tard, ayant probablement oublié son injonction, il me demanda de nommer l’apôtre qui trahit Jésus.  » Mais mon père, une armoire à glace ne parle pas, à moins d’un miracle », lui répondis-je. Ma mère fut convoquée le soir même et c’est tout juste si on ne l’accusât pas d’avoir enfanté un démon.

La dernière année j’ai pourtant cru qu’il se passait quelque chose.

C’est dans un château de la proche banlieue parisienne que nous passâmes les deux jours de retraites prévus par le protocole. Il faisait beau, on mangeait bien, et tout le monde était détendu. Les messes, courtes et peu nombreuses, nous laissaient du temps pour jouer de longues heures dans l’immense parc.

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Basilique de Montmartre

Quelques jours plus tard nous nous présentions devant la basilique du Sacré Cœur de Montmartre pour une une nuit d’adoration. Cette tradition, toujours vivante, existe depuis 1885, et permet  aux croyants qui en font la demande, de se relayer chaque nuit dans la basilique, pour une heure de prière devant le saint sacrement. Nous dormions dans des chambres minuscules, sans autre confort qu’un sommier à lattes recouvert d’un mince matelas.  Tout invitait à la frugalité et au recueillement. Je pris mon tour de prière entre une heure et deux heures du matin. Pour la première fois , dans le silence de la nuit, au milieu de cette crypte monumentale, j’eus le sentiment que quelque chose d’important se produisait. Était ce la fatigue, ou l’excitation des derniers jours ? Je sentais en moi une présence bienveillante et un sentiment de paix intérieure.

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Eglise Saint Augustin – 1972

Le surlendemain je défilais en aube blanche avec mes camarades, sous les grandes orgues, dans l’allée centrale de l’église Saint Augustin. On me remis un missel, et je reçus de mes parents un médaillon en or à l’effigie de Saint Christophe. Je le porte toujours.

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Saint Christophe

Il fallut attendre plus de trente ans et la survenue d’évènements familiaux douloureux tragiques pour ressentir à nouveau le besoin de prier vraiment. C’est dans ce moment d’intense crispation de l’âme que le corps réclame une nourriture immatérielle qui lui est aussi nécessaire que l’air ou que l’eau.

L’éducation religieuse, et ses rituels de passage, ne permettent peut être pas toujours de récolter de beaux fruits bien mures, mais celui qui a la chance de posséder un peu de cette chair, pourra peut être apaiser sa douleur.

Mutualisme et vanité

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Quelle curieuse faiblesse que la vanité. Les hommes devraient s’en méfier plus souvent. Il est si facile de se laisser prendre aux chants des courtisans.

Tout comme que le moustique qui, en même temps qu’il pique, injecte l’anesthésique local présent dans sa salive, et rend indolore la pénétration de sa trompe dans les téguments, le flatteur caresse le vaniteux et finit par l’endormir. Il questionne, s’intéresse, s’extasie, félicite, relance, et s’il a du talent, lui fait croire qu’il brille davantage. Les rapports humains se trouvent ainsi mutualisés, chacun trouvant dans l’autre un intérêt particulier. Le rhinocéros tolère sur son dos la présence du pique bœuf, qui le débarrasse de ses parasites, au risque d’élargir les plaies déjà présentes. Il en va de même du requin qui supporte la présence du rémora, collé sur  son ventre.

On aurait tort de penser qu’Ésope et la Fontaine ont épuisé le sujet. Céline, dans cet extrait du « voyage au bout de la nuit », propose un éclairage plus tragique,  et comme souvent, terriblement humain.

Ferdinand Bardamu s’est embarqué sur un cargo en direction des côtes africaines. À bord, il est pris en grippe par les passagers qu’il suspecte de comploter pour le jeter par dessus bord. Dos au mur, il décide d’amadouer les plus actifs de ses détracteurs en flattant leur bravoure.

C’est comme les cochonneries, les histoires de bravoures, elles plaisent toujours à tous les militaires de tous les pays. Ce qu’il faut au fond pour obtenir une espèce de paix avec les hommes, officiers ou non, armistice fragile il est vrai, mais précieux quand même, c’est leur permettre en toute circonstance , de s’étaler, de se vautrer parmi les vantardises niaises. Il n’y a pas de vanité intelligente. C’est un instinct. Il n’y a pas d’homme non plus qui ne soit avant tout vaniteux. Le rôle de paillasson admiratif est à peu près le seul dans lequel on se tolère d’humain à humain avec quelque plaisir.

Diviser pour mieux régner

Dans Kaputt, roman écrit par Curzio Malaparte de 1941 à 1943, Franck, Général gouverneur de Pologne sous l’occupation nazi, s’exprime ainsi au sujet du peuple polonais :

«J’en viens au prolétariat. Les paysans s’enrichissent par le marché noir : je les laisse s’enrichir. Pourquoi ? Parce que le marché noir saigne la bourgeoisie et affame le prolétariat industriel, empêchant ainsi la formation d’un front unique des ouvriers et des paysans… Je laisse les nobles se ruiner au jeu, les bourgeois conspirer, les paysans s’enrichir, les techniciens et les ouvriers travailler».

Se maintenir au pouvoir en opposant les classes sociales entre elles n’est pas chose nouvelle. De nos jours, la classe ouvrière en France est réduite à sa portion congrue pour cause de désindustrialisation ou de délocalisation. Elle n’intéresse plus personne et son poids électoral est limité. Les paysans, entièrement dépendant des subventions européennes, sont considérés comme des pollueurs criminels par les travailleurs du secteur tertiaire. Les jeunes, exclus du monde du travail, s’opposent aux vieux, assis sur leur tas d’or acquis pendants les trente glorieuses. Les gens du privé s’opposent à ceux de la fonction publique, les automobilistes aux piétons, les chasseurs aux écolos, et la gauche, exclue des arcanes du pouvoir financier s’oppose sans projet crédible à une droite cynique et toute puissante. Pendant ce temps, la classe dirigeante, les vrais riches, les cooptés, les initiés, les animateurs de réseaux, engrangent les dividendes et font du gras sur le dos des pauvres administrés qui croient encore qu’il faut consommer pour exister. Enfin, cerise sur le gâteau, le développement des réseaux sociaux, dit horizontaux, entretient l’espoir qu’une démocratie directe est possible. Que néni, dormez braves gens. Aux moment des vrais choix, les décisions empruntent toujours un chemin vertical.

Les métamorphoses du noir – naissance d’une couleur

Symbolisant l’obscurité des ténèbres, le noir a longtemps eu en occident une connotation négative. Léonard de Vinci, dans son traité de peinture le définit comme une privation totale de lumière. Les peintres renaissants comme Le Caravage, Rembrandt et plus tard Georges de La Tour l’utilisent dans des clair obscur très contrastés pour obtenir des effets saisissants dans une symbolique d’opposition entre le bien et le mal. Au service d’une peinture descriptive, le noir est utilisé pour définir les volumes et les masses.

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Le Caravage – la vocation de St Mathieu – vers 1600
A partir de la deuxième moitié du XIXème siècle le développement de la photographie entraîne une révolution sur l’objet même de la peinture. Il n’est plus de décrire, mais d’exprimer une vision du monde. La peinture se débarrasse progressivement des contraintes techniques nécessaires à l’imitation de la nature. En 1890 Maurice Denis nous rappelle « qu’un tableau, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »

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Rembrandt – La parabole de l’homme riche – 1628

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Georges de Latour – St Joseph Charpentier – vers 1640
 N’étant plus liée à des impératifs de représentation de la nature, le noir devient une couleur à part entière. En 1946, Henri Matisse affirme « l’emploi du noir comme couleur au même titre que les autres couleurs: jaune, bleu ou rouge, n’est pas chose nouvelle. Les Orientaux se sont servis du noir comme couleur, notamment les Japonais dans les estampes. Plus prés de nous, d’un certain tableau de Manet il me revient que le veston de velours noir du jeune homme au chapeau de paille est d’un noir franc et de lumière. »

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Henri Matisse – Intérieur avec rideau Égyptien -1 948
Oasis où se repose la rétine (le noir stimule très peu les cellules sensorielles réceptives aux stimulations lumineuses), le noir se comporte comme une surface de transition permettant de rebondir d’une couleur à une autre en participant au rythme de la composition. Ainsi, comme dans un orchestre où le triangle serait promu au rang de premier violon, le noir est invité à jouer une partition d’importance dans la peinture moderne.

Plus prés de nous, et toujours influencés par la peinture orientale, les peintres utilisent le noir sous forme de tache, porteuse d’énergie, dans des compositions monumentales.

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Frantz Klein

 

 

 

 

 

Pour Pierre Soulage elle devient porteuse de lumière, avec sa vibration propre.

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Pierre Soulage – 2012
Ainsi, le noir est sorti des ténèbres pour devenir lumière.