
Héritiers d’une tradition familiale chrétienne catholique, mes parents tenaient à ce que leur fils reçoive une éducation religieuse. Pieuse sans être bigote, ma mère avait l’habitude d’égrener ses prières du soir sur un chapelet qui lui venait de sa grand mère. Mon père, ancien enfant de cœur, racontait toujours les mêmes anecdotes, mais y prenait tant de plaisir, que je me régalais de le voir retrouver ses yeux d’enfant le temps d’une narration. Je fus ondoyé, puis baptisé, et finalement inscrit au catéchisme pour y suivre un enseignement conforme aux recommandations de Vatican II. Je considérais ces leçons comme une succession de fables ponctuées de rituels sophistiqués, dont la signification m’échappait. Je m’ennuyais du caractère répétitif des thèmes et de la façon de les traiter. Les coloriages, découpages, collages, et tous les messages de paix et d’amour à la guimauve sonnaient creux à mes oreilles. Je pressentais là une tentative de manipulation, et l’imposture qui se cachait derrière. Pendant ce temps, les hommes œuvraient à leurs besognes mortifères. Les Américains faisait rimer Vietnam avec napalm, le Biafra mourrait de faim, certains prêtres me serraient d’un peu trop près et leurs baisers affectueux frôlaient souvent mes lèvres. Enfin, cerise sur le gâteau des hypocrisies ecclésiastiques, ma mère, en tant qu’épouse d’un homme divorcé, n’avait pas le droit de communier. L’enfant de neuf ans que j’étais avais du mal à se conformer au rôle d’angelot béat d’amour compassionnel qu’on voulait lui faire jouer. Dieu et moi n’habitions pas la même planète. Les enseignants se plaignaient de mon comportement. Ils me trouvaient indiscipliné, bavard, et surtout insolent. Un jour que je devais être particulièrement dissipé, le prête m’ordonna de me tenir debout au fond de la salle et de rester silencieux comme si j’étais, je le site, « une simple armoire à glace ». Quelques minutes plus tard, ayant probablement oublié son injonction, il me demanda de nommer l’apôtre qui trahit Jésus. » Mais mon père, une armoire à glace ne parle pas, à moins d’un miracle », lui répondis-je. Ma mère fut convoquée le soir même et c’est tout juste si on ne l’accusât pas d’avoir enfanté un démon.
La dernière année j’ai pourtant cru qu’il se passait quelque chose.
C’est dans un château de la proche banlieue parisienne que nous passâmes les deux jours de retraites prévus par le protocole. Il faisait beau, on mangeait bien, et tout le monde était détendu. Les messes, courtes et peu nombreuses, nous laissaient du temps pour jouer de longues heures dans l’immense parc.

Quelques jours plus tard nous nous présentions devant la basilique du Sacré Cœur de Montmartre pour une une nuit d’adoration. Cette tradition, toujours vivante, existe depuis 1885, et permet aux croyants qui en font la demande, de se relayer chaque nuit dans la basilique, pour une heure de prière devant le saint sacrement. Nous dormions dans des chambres minuscules, sans autre confort qu’un sommier à lattes recouvert d’un mince matelas. Tout invitait à la frugalité et au recueillement. Je pris mon tour de prière entre une heure et deux heures du matin. Pour la première fois , dans le silence de la nuit, au milieu de cette crypte monumentale, j’eus le sentiment que quelque chose d’important se produisait. Était ce la fatigue, ou l’excitation des derniers jours ? Je sentais en moi une présence bienveillante et un sentiment de paix intérieure.

Le surlendemain je défilais en aube blanche avec mes camarades, sous les grandes orgues, dans l’allée centrale de l’église Saint Augustin. On me remis un missel, et je reçus de mes parents un médaillon en or à l’effigie de Saint Christophe. Je le porte toujours.

Il fallut attendre plus de trente ans et la survenue d’évènements familiaux douloureux tragiques pour ressentir à nouveau le besoin de prier vraiment. C’est dans ce moment d’intense crispation de l’âme que le corps réclame une nourriture immatérielle qui lui est aussi nécessaire que l’air ou que l’eau.
L’éducation religieuse, et ses rituels de passage, ne permettent peut être pas toujours de récolter de beaux fruits bien mures, mais celui qui a la chance de posséder un peu de cette chair, pourra peut être apaiser sa douleur.