Houellebecq : le vertige du réel

fullsizerender-2La première fois que j’entendis parler de Michel Houellebecq c’était en 1994. J’étais dans ma voiture et, sur France Inter, Michel Polac évoquait le premier roman d’un jeune écrivain publié chez Maurice Nadeau. Véritable coup de poignard littéraire, c’était le livre qu’il fallait lire pour comprendre les évolutions de nos sociétés post industrielles. Il affirmait n’avoir rien lu d’aussi fort depuis des années. J’avais beaucoup d’admiration pour l’ancien animateur de « droit de réponse », découvreur de talents, et finalement grand lecteur. Dès le lendemain j’achetais « Extension du domaine de la lutte », roman court, écrit à la première personne, qui décrit sans affect, les aventures tragiques d’un informaticien au bord de la dépression. Je l’ai dévoré en quelques heures, trop vite certainement. Je viens de le relire. Toujours aussi percutant. Les rapports humains y sont décrits comme soumis à de puissants déterminismes, biologiques et sociaux, qui s’imposent à des êtres luttant désespérément sans parvenir à s’en échapper. On pense alors au film d’Alain Resnais « Mon oncle d’Amérique »  (1980), qui fonde son propos sur les théories de biologie comportementale du professeur Henri Laborit. Le libre arbitre existe-t-il ou sommes nous à jamais les aliénés de notre biologie et de notre histoire ?

J’ai choisi quatre extraits :

« …l’adolescence n’est pas seulement une période importante de la vie, mais que c’est la seule période où l’on puisse parler de vie au plein sens du terme. Les attracteurs pulsionnels se déchaînent vers l’âge de treize ans, ensuite ils diminuent peu à peu ou plutôt ils se résolvent en modules de comportement, qui ne sont après tout que des forces figées. La violence de l’éclatement initial fait que l’issue du conflit peut demeurer incertaine pendant plusieurs années, c’est ce qu’on appelle en électrodynamique un régime transitoire. Mais peu à peu les oscillations se font plus lentes, jusqu’à se résoudre en longues vagues mélancoliques et douces ; à partir de ce moment tout est dit, et la vie n’est plus qu’une préparation à la mort. Ce qu’on peut exprimer de manière plus brutale et moins exacte en disant que l’homme est un adolescent diminué. »

Michel Houellebecq – Extension du domaine de la lutte – Nadeau – p 105/106

Pour aller plus loin, et entrer en raisonnance avec ce passage, je vous propose quelques extraits d’interview de Jacques Brel  dans cette vidéo: https://www.facebook.com/MonsieurTroll/videos/1584470041582336/

 » Décidément, me dis-je, dans nos sociétés, le sexe représente bel et bien un second système de différenciation, tout à fait indépendant de l’argent ; et il se comporte comme un système de différenciation au moins aussi impitoyable. Les effets de ces deux systèmes sont d’ailleurs strictement équivalents. Tout comme le libéralisme économique sans frein, et pour des raisons analogues, le libéralisme sexuel produit des phénomènes de paupérisation absolue. Certains font l’amour tous les jours ; d’autres cinq ou six fois dans leur vie, ou jamais. Certains font l’amour avec des dizaines de femmes ; d’autres avec aucune. C’est ce qu’on appelle « la loi du marché ». Dans un système économique où le licenciement est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver sa place. Dans un système sexuel où l’adultère est prohibé, chacun réussit plus ou moins à trouver son compagnon de lit. En système économique parfaitement libéral, certains accumulent des fortunes considérables ; d’autres croupissent dans le chômage et la misère. En système sexuel parfaitement libéral, certains ont une vie érotique variée et excitante ; d’autres sont réduits à la masturbation et à la solitude. Le libéralisme économique c’est l’extension du domaine de la lutte à tous les âges de la vie et à toutes les classes de la société. « 

Michel Houellebecq – Extension du domaine de la lutte – Nadeau – p 114/115

  » Vendredi et samedi, je n’ai pas fait grand chose ; disons que j’ai médité, si on peut donner un nom à cela. Je me souviens d’avoir pensé au suicide, à sa paradoxale utilité. Plaçons un chimpanzé dans une cage trop petite, close par des croisillons de béton. L’animal deviendra fou furieux, se jettera contre les parois, s’arrachera les poils, s’infligera lui-même de cruelles morsures, et dans 73 % des cas il finira bel et bien par se tuer. Pratiquons maintenant une ouverture dans l’une des parois, que nous placerons vis-a-vis d’un précipice sans fond. Notre sympathique quadrumane de référence s’approchera du bord, il regardera vers le bas, il restera longtemps près du bord, il reviendra plusieurs fois, mais généralement il ne basculera pas; et en tout cas son énervement sera radicalement calmé. »

Michel Houellebecq – Extension du domaine de la lutte – Nadeau – p 144

 » Je ressens ma peau comme une frontière, et le monde extérieur comme un écrasement. L’impression de séparation est totale. Je suis désormais prisonnier en moi même. Elle n’aura pas lieu la fusion sublime ; le but de la vie est manqué. « 

Michel Houellebecq – Extension du domaine de la lutte – Nadeau – p 180/181

 

3 réflexions au sujet de “Houellebecq : le vertige du réel”

    1. C’est vrai que le réel a toujours quelque chose d’écœurant. Concernant Houellebecq, je suis d’accord avec vous. Il y a chez lui quelque chose de destructeur, et qui doit nous tenir à l’écart, peut être plus spécifiquement les femmes d’ailleurs. Il faudra que je creuse la question.

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      1. J’ai toujours un moment de sympathie, j’essaie de voir l’interet litteraire, puis je n’y arrive plus. Par ailleurs, je ne le trouve pas stylistiquement tres interessant, mais cela, evidemment c’est une opinion personnelle. Peut-etre en effet, est-ce plus difficile pour les femmes de l’apprecier,pourtant dans son premier livre, j’avais surmonte ma reaction prsonnelle et j’y avais vu quelque chose d’interessant, que j’ai depuis du mal a voir. Enfin, le seul fait qu’on parle de lui fait peut-etre son interet.

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