Sollicité par la préfecture sur la capacité de notre commune à accueillir des migrants, le maire a réuni à la hâte son conseil municipal. Les conditions semblant réunies, un vote favorable aux propositions du gouvernement à conclu la séance. Le démantèlement du bidonville de Calais s’est donc traduit, pour nous, par l’arrivée de 16 migrants soudanais.
Le 24 octobre le car les a déposé , ironie du sort, devant la résidence pour travailleurs handicapés située à l’écart du centre bourg. Cet établissement leur servira d’hébergement les prochains mois. Fatigués de tout ce temps passé à vivre sous des bâches au milieu des cartons et des palettes, ces hommes disposaient enfin d’un toit et d’un endroit où poser leur valises.
Les premier jours je les observais de loin quand je partais le matin. Ils se tenaient devant leur pas de porte, fumant des cigarettes, échangeant entre eux quelques paroles, le regard un peu perdu dans ce décor périurbain sans âme. Ils ne savaient pas que derrière les bâtiments, une vaste étendus de terres agricoles offrait le spectacle quotidien du soleil levant qui embrasait le ciel avant de répandre sa lumière sur le moindre relief, des vieux chênes multicentenaires aux minuscules brindilles grelottant sous le givre.
La mairie avait organisé un pot d’accueil dans le hall de leur résidence. Sur des tables recouvertes de nappes en papier, les dames des associations avaient disposé des boissons sans alcool, des sodas, et des gâteaux aux amandes. Les déficients intellectuels, pensionnaires habituels de l’établissement, étaient assis au fond de la salle, face à la porte d’entrée. Les réfugiés s’étaient regroupés dans une autre partie de la pièce. Quand à nous, riverains et membres d’associations caritatives, nous avions pris place autour des tables garnies de victuailles.
Le maire commença à dérouler sa liturgie républicaine, avec quelques maladresses et beaucoup de bonnes intentions. Ils exposa les projets de la commune concernant les nouveaux arrivants et énuméra les initiatives individuelles ou collectives prises en leur faveur. Des enseignants à la retraite proposaient de donner des cours de Français, des bénévoles se mettaient à leur service pour les aider à constituer leur dossier de demandeur d’asile. Certains médecins offraient des soins gratuits. Des vélos étaient mis à leur disposition et plusieurs associations de marcheurs et randonneurs les invitaient pour des sorties dans la région. Le club de foot municipal leur a aussi ouvert ses portes, son stade, ses vestiaires, et établi un calendrier de match amicaux avec l’équipe locale. Une banque alimentaire et une récolte de vêtement ont permis de compenser les besoins de première nécessité que les 200 € mensuels d’aide gouvernementale couvraient difficilement. Les migrants, tous de solides jeunes noirs, s’exprimèrent parfaitement au micro lorsque le maire demanda à certain d’entre eux de se présenter. Il y avait un boulanger, un routier, des étudiants, des commerçants. Un interprète traduisait pour l’assemblée, mais certains d’entre eux préféraient s’exprimer en anglais.
J’étais un peu sceptique quand à la réussite de l’entreprise et la pertinence des moyens mis à leur disposition.
Je les ai croisé hier matin, alors qu’il partaient en randonné avec un groupe de marcheurs. Ils avançaient vers le levant, le soleil dans les yeux. Ils souriaient et semblaient détendus. Leur regard avait déjà changé. La France sera-t-elle à la hauteur ?
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