Ou comment des propos délibérément dévastateurs font mouche
Scott Fitzgerald se confie à Ernest Hemingway – Paris est une fête – Folio – p243, 244
Finalement, alors que nous mangions la tarte aux cerises, et buvions une dernière carafe de vin, il dit:« Tu sais que je n’ai jamais couché avec personne d’autre que Zelda.
– Je ne savais pas.
– Je croyais te l’avoir dit.
– Non. Tu m’as dit des tas de choses, mais pas ça.
– C’est à ce propos que je dois te poser une question.
– Bon. Vas-y.
– Zelda m’a dit qu’étant donné la façon dont je suis bâti je ne pourrais jamais rendre une femme heureuse, et que c’était cela qui l’avait inquiétée au début. Elle m’a dit que c’était une question de taille. Je ne me suis plus jamais senti le même depuis qu’elle m’a dit ça et je voudrais savoir vraiment ce qu’il en est.
– Passons aux cabinets, dis-je.
Le cabinet de qui ?
– Le «water», dis-je.
Nous revînmes nous asseoir dans la salle, à notre table.
« Tu es tout à fait normal, dis-je. Tu es très bien.
Tu n’as rien à te reprocher. Quand tu te regardes de haut en bas, tu te vois en raccourci. Va au Louvre et regarde les statues, puis rentre chez toi, et regarde-toi de profil dans le miroir.
– Ces statues ne sont peut-être pas à la bonne dimension.
– Elles font le poids. Bien des gens pourraient les envier.
– Mais pourquoi a-t-elle dit ça ?
– Pour te rendre incapable d’initiative. C’est le plus vieux moyen du monde pour rendre un homme incapable d’initiative. Scott, tu m’as demandé de te donner une réponse absolument sincère et je pourrais t’en dire plus long encore, mais je t’ai dit la vérité absolue et c’est ce qu’il te faut. Tu aurais pu aller consulter un médecin.
– Je n’ai pas voulu. Je voulais que tu me dises la vérité.
– Est-ce que tu me crois maintenant ?
– Je ne sais pas, dit-il.
– Allons au Louvre, dis-je. C’est juste au bas de la rue, de l’autre côté de l’eau. »